Vaccination anti-Covid-19 : le gouvernement piétine
Du déjà entendu. Le chef de gouvernement, Saad Dine El Otmani, n’a pas réussi à convaincre l’opposition de la pertinence des choix gouvernementaux en matière de gestion de la vaccination, comme en témoignent les communiqués du comité exécutif du Parti de l’Istiqlal et du bureau politique du Parti du progrès et du socialisme qui ont fustigé la gestion gouvernementale de ce dossier et appelé à la transparence.
Les doses de vaccin se font désespérément attendre et les choses ne semblent pas près de changer. Le gouvernement semble impuissant face à la concurrence des pays les plus riches. Il ne s’attendait apparemment pas à un retard dans la livraison des premiers lots de vaccin alors qu’il avait anticipé l’opération d’acquisition du remède anti-Covid-19 en signant des accords avec Sinopharm et AstraZeneca. L’Exécutif, qui comptait entamer la campagne nationale de vaccination en décembre dernier, n’a, jusque-là, aucune visibilité sur la date de démarrage de cette opération, comme l’a précisé El Otmani devant les parlementaires de la Chambre haute qui l’ont épinglé à cause du manque de franchise autour de ce dossier. Le grand oral d’El Otmani à la Chambre des conseillers sur la stratégie nationale de vaccination n’a pas permis de tirer au clair certaines questions qui restent en suspens, selon l’opposition : pourquoi le Maroc n’a-t-il pas anticipé la ruée internationale sur le vaccin qui était pourtant prévisible ? Les accords avec les deux fournisseurs chinois et britanniques fixent-ils un délai de livraison après l’homologation des vaccins ? Quelles sont les garanties en cas de désengagement de la part de ces firmes ? Le Maroc a-t-il un plan B en cas de retard prolongé dans la livraison des doses commandées ? Bien que le chef de gouvernement ait adopté un ton rassurant, les inquiétudes persistent car le Maroc, qui aspirait à être parmi les premiers pays à vacciner sa population, risque d’attendre longtemps son tour, à l’instar de l’ensemble des pays africains. El Otmani estime qu’«il est naturel de voir les États ayant développé des vaccins répondre dans un premier temps aux besoins internes». Le processus risque ainsi d’être très long. Suivant cette logique, le Maroc devra attendre la vaccination de 60% à 70% des 1,4 milliard de Chinois ainsi que des 1,3 milliard d’habitants de l’Inde où est fabriqué le vaccin d’AstraZeneca. À cela s’ajoutent les surenchères des pays les plus riches dont certains ont déboursé cinq fois voire neuf fois le prix du vaccin pour être parmi les permiers à s’en procurer. Les capacités de production des laboratoires sont limitées par rapport à la demande mondiale qui est estimée à quelque dix milliards de doses dont une grande partie est déjà préemptée par les pays développés dont la plupart a réussi le pari du lancement de la vaccination anti-Covid-19. L’Afrique est à la traîne, dans la course à la vaccination.
L’Organisation mondiale de la santé a déjà mis en garde contre le «chacun pour soi» et le «nationalisme vaccinal» qui pénaliseraient les pays n’ayant pas les moyens d’acquérir les doses nécessaires. Le continent africain comptait sur Covax, un mécanisme mondial «consistant à collaborer avec les fabricants de vaccins pour garantir aux pays du monde entier un accès équitable à des vaccins sûrs et efficaces, une fois qu’ils seront homologués et approuvés». Mais ce dispositif n’a pas encore permis d’atteindre les objectifs escomptés. Face à l’amère réalité, le gouvernement marocain a dû revoir ses ambitions. Le chef de gouvernement, qui a déjà annoncé que le Maroc sera parmi les premiers pays à assurer le vaccin à leurs populations, vient de souligner que le royaume sera le premier pays africain à entamer la campagne de vaccination. Il est à préciser, à cet égard, que les Seychellois nous ont devancés grâce aux 50.000 doses qui leur ont été offertes par les Émirats arabes unis. Une quantité facilement accessible alors que le Maroc a besoin d’au moins 50 millions de doses pour vacciner 25 millions d’habitants.
Le lancement de la campagne nationale reste ainsi tributaire de l’évolution de la situation sur le marché mondial des vaccins, comme l’a laissé entendre El Otmani. En attendant l’arrivée des premières doses, le Maroc se tient prêt. Quelque 25.631 professionnels de la santé sont mobilisés dont 11.000 en milieu urbain. En cas de besoin, ils seront épaulés par d’autres équipes (secteur privé, Croissant rouge, étudiants en médecine…). Rappelons aussi qu’un système informatique a été développé pour assurer la bonne gestion de la campagne de vaccination (cheminement des vaccins, gestion sur le terrain, suivi d’éventuels effets secondaires…). Tous les centres de santé concernés et les unités mobiles réquisitionnés à cette fin sont équipés en tablettes connectées pour introduire dans le système toutes les informations nécessaires qui serviront non seulement pendant l’opération de vaccination, mais aussi pour la période post-vaccination. Une fois la campagne nationale de vaccination lancée, il faudra compter quatre mois pour atteindre l’immunité collective escomptée. Après les 12 semaines de vaccination, vingt-huit jours sont en effet nécessaires pour que les dernières doses de vaccins administrées donnent l’effet souhaité.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco